Texte : Quelle terre ? Quels enfants ? - Jean-Claude Pierre

A la fin des années soixante, alors que les sociétés occidentales commençaient à prendre en compte les phénomènes de pollution, un américain, Barry Commoner, publiait un ouvrage retentissant : Quelle Terre laisserons-nous à nos enfants ? (1)

Cette interrogation n’a rien perdu de sa pertinence, et force nous est de reconnaître que notre « modèle de développement » dégrade la planète selon un rythme qui s’accélère et dans des proportions encore jamais atteintes.

Erosion des sols, accumulation des déchets toxiques à longue durée de vie, surexploitation des forêts et des océans, réduction de la biodiversité, dérèglement du climat…, autant de « bombes à retardement » que nous léguons aux générations futures, c’est-à-dire…à nos enfants.

Si l’on ajoute à ces legs d’un type nouveau le gaspillage insensé des ressources non renouvelables, on ne peut que demeurer confondus par l’insoutenable légèreté avec laquelle nous nous comportons.

Enfants, nos livres d’histoire nous apprenaient que louis XV se plaisait à répéter : « Après nous le déluge ! » Et nos maîtres n’avaient, alors, aucune difficulté à nous convaincre de l’irresponsabilité de ce monarque imprévoyant, cynique et jouisseur…

Soyons lucides et, à notre tour, posons-nous la question de savoir si, demain, nos héritiers, confrontés aux conséquences de notre désinvolture, ne seront pas, eux aussi, fondés à nous juger avec la plus extrême sévérité. Mais posons-nous, également, comme nous y invite Pierre Rabhi, (2) cette autre question : « Quels enfants laisserons-nous à la Terre ? » Nouvelle et grave question qui vient compléter celle que nous proposait Barry Commoner, voici près de quarante ans, déjà, et à laquelle nous ne semblons guère pressés de répondre.

Problème, en effet, que celui de savoir avec quelle armature intellectuelle et morale nos successeurs pourront faire face aux redoutables défis qui les attendent. Et problème qui, là encore, nous renvoie à nos propres responsabilités…

Nos pratiques, nos comportements, nos propos, leur ouvrent-ils la voie ?

Pourront-ils s’appuyer sur nos expériences pour mettre en œuvre un véritable développement « durable et solidaire », c’est-à-dire pour considérer la nature avec respect et mettre un terme à l’effarante montée des inégalités qui minent nos sociétés, générant frustrations et humiliations ?

Nos modes de vie les incitent-ils à privilégier les valeurs de l’ « être » sur celles de l’ « avoir », à s’engager dans des voies nouvelles de simplicité et de frugalité ? Par nos pratiques de consommateur, cherchons-nous à éveiller leur sens critique ? seront-ils amenés à magnifier encore davantage qu’aujourd’hui les formes de compétition qui conduisent à dominer et à exclure ou s’attacheront-ils, au contraire, à promouvoir des modes de coopération, de solidarité, de partage ? Seront-ils encore davantage que nous le sommes, fascinés par la science et la technique ou sauront-ils prendre la hauteur qui leur sera si nécessaire pour en assurer vraiment la maîtrise ?

Accèderont-ils à une réelle prise de conscience planétaire les amenant à considérer que tous les hommes, issus d’une seule « matrie » - la Terre – sont frères et que l’on se doit, de ce fait, d’établir avec eux des relations en tous points équitables…

La frénésie consommatrice, dont la fête de Noël, par un étrange retournement de valeurs, est devenue le symbole le plus emblématique, nous donne de multiples occasions de nous poser des questions de cet ordre.

Et elles nous conduisent, n’ayons pas peur des mots, à rappeler que, si éduquer c’est aussi « élever », il va bien falloir nous référer à des valeurs universelles qui relèvent davantage de l’éthique et de la morale que des « lois du marché ».

- Jean-Claude Pierre est le porte-parole du réseau "Cohérence" -

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