Texte : Les mains fertiles - Xavier Grall

Travail manuel
- Photo "Travail manuel" de jsnoyer -

Eh bien, oui, j'admire ceux qui savent travailler de leurs mains !
En cela, les jeunes compagnons qui restaurent ma demeure de Botzulan
me donnent une leçon de dignité et d'intelligence.
Il faut bien que notre système d'éducation soit des plus suspects,
qui divise les êtres en manuels et en intellectuels.
C'est une ségrégation absurde et injuste.

Ils connaissent le bois, la chaux, le ciment.
Ils portent en eux les vestiges d'une civilisation rurale
qui sut créer de la beauté à partir de la nécessité, voire de la pénurie...
Le beau est le fils de l'utile.
Et c'est pourquoi le luxe est très souvent père de la laideur et du mauvais goût.
Quel poème est jamais né dans le coeur de l'homme
qui n'était issu de sa douleur, de son inquiétude, de son déchirement ?

J'aurais aimé avoir cette science-là.
Mes pauvres mains sont ignorantes, claires et sans cal
elles n'ont jamais manié la truelle, elles n'ont jamais caressé la chair du chêne,
ces mains savent seulement faire courir une plume sur du papier.
Comme elles devraient se cacher de honte devant les mains vives, aimantes,
les mains artisanes, ouvrières de mes amis !

Nous devrions élever nos enfants dans les bois, face à la mer.
Et leur apprendre la pensée de la nature avant la pensée livresque.
Il ne devrait pas y avoir "les hommes-à-main" d'une part
et de l'autre les "grosses têtes".
Les uns les autres, nous devrions pouvoir travailler
avec notre corps et avec notre esprit.

Tout cela, quand c'est bien fait, c'est de la pensée, c'est aussi de l'amour.
Il y a une pensée dans une maison harmonieuse,
dans le linteau d'une cheminée, dans l'orientation d'une fenêtre.
Par contre, il n'y en a peut-être pas dans les mesquineries
des travaux bureaucratiques, dans la mécanique usinière.

Nous sommes venus pour créer
et les trois quarts des hommes, englués dans la fatalité industrielle,
ne le peuvent pas.
Que mornes sont ces temps !

Mains fertiles et savantes de mes camarades, je vous admire...



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