Texte : Le silence - Jeanne Signard

Le silence peut être une arme plus blessante,
plus menaçante, plus vengeresse que la parole.
Une colère parlée est plus facile à mesurer pour celui qui en est l’objet.
Mais ce silence né sur le terreau d’une contrariété que veut-il dire ?

S’agit-il d’une épée qui se prépare à un duel sanglant,
bien cachée dans son fourreau ?
Ou s’apprête-t-elle à trancher les liens d’une amitié
ou d’une collaboration que nous pensions solides ?
S’agit-il d’une lance qui s’affûte en secret
et cherche le lieu exact de sa pénétration,
ou bien d’un canon qui se prépare à détruire notre maison commune ?
Alors, surtout s’il se prolonge, on imagine le pire !

Le silence peut servir de refuge à celui qui a peur :
peur de ne pas savoir dire, peur de ne pas dire ce qu’il faut dire,
peur d’être contredit, peur de blesser, peur de dire ou d’entendre la vérité.
Silence-prison où s’amoncellent tant de paroles interdites de sortie !
Le jour où les verrous de la « porte de prison » sautent mieux vaut « dégager »

Il y a le silence boudeur de « l’enfant » contrarié
qui se retire pour n’avoir pas à formuler plus clairement son besoin ou sa pensée,
pour éviter d’avoir à s’expliquer.
Il est persuadé qu’on lui en veut et que parler ne servirait à rien,
voire aggraverait son cas.
Éternel incompris qui préfère se retirer du jeu
et qui ne pèse plus très lourd dans la balance des décisions.

Il y a les silences de plomb, lourds de sous-entendus,
d’arrières- pensées, de jugement définitifs....
Il y a le silence de mort plus souvent ressenti au sein d’un groupe,
 frappé de stupeur devant une catastrophe ou un comportement inhumain.
Manifestation de l’horreur devant l’innommable.
On est « cloué sur place » et on reste « bouche bée ou bouche close ».
Absence de tout commentaire.

Il y a le silence des rencontres légères et passagères
 qu’il faut à tout prix meubler par des « Comment ça va ? »
dans lesquels peuvent s’engouffrer toutes les plaintes
que chacun trimbale dans son sac à malheurs
et qui ne sont souvent qu’une « forme bavarde du renoncement ».

Il y a aussi le silence éloquent, parfois assourdissant.
Ce silence-là rend sourd à toutes les paroles qui vont suivre.
Il peut naître d’une remise en cause radicale,
de l’annonce d’une nouvelle inattendue qui laisse sans voix
ou de la sidération face à la beauté d’un lieu, d’un geste, d’un témoignage.

Il y a le silence habité où la complicité supplée les paroles,
impuissantes à exprimer la profondeur les sentiments ou le poids d’un vécu.
Silence de la respiration dans ses deux mouvements :
expiration où l’on se donne et aspiration où l’on se reçoit.
C’est ce silence qui ponctue nos « conversations aimantes ».

Pour goûter ce silence-là il ne suffit pas de se taire.
Il faut qu’il pénètre et s’installe au fond de nous-mêmes
pour nous disposer à accueillir et à écouter un mouvement intérieur,
une parole de Dieu ou d’un frère, d’une sœur
sans rien rejeter, humblement, avec respect.
« Une journée pleine de bruits et pleine de voix peut être une journée de silence
si le bruit devient écho pour nous de présences. » (Madeleine Delbrel)

N’oublions pas le « grand silence » du soir
qui recueille les joies de la journée en offrande vespérale
et qui transfigure les peines en perles précieuses
 Puis vient le silence profond de la nuit.

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